Souvenirs de Guyane : Partie 1

Octobre 2017, Les morpho (suivi du chant du Paypayo)

Nous sommes au Pk 48, piste prenant naissance sur la toute de Kaw. Il est onze heures en ce lundi vingt-trois octobre et le soleil commence à peser. Nous chassons les papillons depuis l’aube, avec une nuit au drap de chasse derrière nous.  Mon ami Gilles et mon fils traquent uniquement les splendides Morpho.

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Morpho hecuba Didier Descouens – Own work sous licence CC BY-SA 4.0

Positionné en bordure de piste, je vois de loin arriver un grand planeur (Morpho hecuba). Il est encore à plus de cinquante mètres et Gilles est placé entre moi et le lépidoptère. Mon complice l’aperçoit et commence alors un jeu de duperie fantastique. Mon ami est venu avec toute une série de leurres qu’il a fabriqués en métropole, il s’agit de faux papillons en plaquette de bois recouvert de divers papiers colorés bleu électrique et d’autres matières, toile des ballons de baudruche par exemple. Mais ce qui parait être à l’image des canards en bois, pour certains taillés grossièrement et utilisés par les chasseurs de gibiers d’eau. Le matériel de Gilles est savamment élaboré, il y en a pour toutes les sortes de Morpho et même des différents pour certaine espèce en fonction de l’heure et du comportement de l’insecte. J’ai moi aussi déjà attrapé quelques Morpho rhetenor ou  menelaus avec des faux papillons en carton bleu, mais il devait s’agir de spécimens suicidaires! Revenons à cet hecuba, il arrive maintenant à dix pas de Gilles et à environ cinq mètres de haut et ne semble aucunement sensible aux agissements de mon ami qui fait, il me parait, des demi-moulinets horizontales avec son leurre, l’épuisette dans l’autre main. Le papillon s’avère ne manifester aucun intérêt à ce qui devrait être pour lui un mâle concurrent, il donne un coup d’aile de temps à autre pour maintenir son vol plané et décroche d’un petit mètre de temps en temps pour enfin revenir à sa hauteur de croisière, il passe au-dessus de mon ami et se rapproche de moi. A cette hauteur, je ne peux même pas espérer tenter un coup de filet. Je reste immobile à regarder ce splendide papillon. Gilles n’a pas dit son dernier mot et change de leurre, il se rapproche de moi et agite maintenant l’engin en faisant des mouvements différents et plus amples. Soudain, alors que le lépidoptère est juste à ma hauteur, il décroche de deux mètres en faisant  demi-tour et fonce droit sur Gilles. Un majestueux et ample coup de filet et hop ! Le papillon est pris. Le jeu a duré presque dix minutes et j’aurai parié que ce Morpho continuerait son chemin. On pourra toujours dire que c’est la chance, le hasard, mais Gilles m’en fera plusieurs fois l’expérience. Il maitrise à merveille ce que je considère comme un art… similaire à la tauromachie d’une certaine façon.

Description de cette image, également commentée ci-après
Morpho rhetenor rhetenor – Face dorsale Didier Descouens sous licence CC BY-SA 4.0

Les matins au lever du jour, c’est le Morpho eugenia qui ne vole qu’un quart d’heure, qui est l’objet de nos attentions. Ensuite au fur et à mesure que la journée s’écoule, les espèces se succèdent l’une après l’autres. Nous sommes depuis plus d’une semaine en Guyane, et Gilles tente d’apprendre cet art à mon fils. Deux jours plus tard, alors que le soleil joue à cache-cache avec les nuages, lors des éclaircies, Florent se démène sur la piste pour essayer de faire descendre des Morpho assez abondant en cette deuxième partie de matinée, ce sont cette fois des rhetenor. Il agite son leurre un peu de façon désordonné il me semble et surtout je croie de façon trop ample, mais plusieurs papillons sont déjà venus à lui. Soudain un  volontaire lui descend droit dessus. Florent rate son coup et trébuche, le Morpho fait demi-tour et attaque mon fils par derrière,  Il lui frôle le chapeau. Florent, excédé par la bravoure de l’insecte, le poursuit à la course, mais rapide, le papillon gagnera cette fois la partie.

Vers la fin du séjour, Florent est plus aguerri. Il ne lâche pas Gilles de la journée et les deux compères se font un plaisir immense. Florent aura passé un merveilleux séjour et sans exceller dans la pratique autant que Gilles, ses résultats n’en sont pas moins respectables.

Merci Gilles pour ces moments de ravissement donnés à mon fils.

Le chant du Paypayo

Le puissant chant de cet oiseau mythique des forêts tropicales amazoniennes et plus particulièrement pour ma part de Guyane française, est comme un signe de ralliement, mon chant des sirènes ! Il me manque de l’entendre (au point que je l‘ai mis quelques temps en sonnerie de mon portable). Mais, au-delà du chant très spécifique de cet oiseau, je crois que c’est l’appel de la Guyane qui soit pour moi le véritable attrait de cette mélodie de quelques notes que l’on n’oublie pas.

Appelé Paypayo par les autochtones, son nom vernaculaire est le Piauhau hurleur et Lipaugus vociferans pour son nom latin, c’est un  petit oiseau gris de 25 à 28 cm de l’ordre des Passeriformes et de la famille des Cotingidae qui regroupent aussi les Cop-de-roche, les Cotinga et plus de soixante espèces d’autres oiseaux plus ou moins colorés.

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Piauhau hurleur (Lipaugus vociferans) Hector Bottai – Own work photo sous licence CC BY-SA 4.0
chant de l’oiseau : XC105496 · Piauhau hurleur · Lipaugus vociferans, sous licence CC Patrick INGREMEAU

Il chante haut dans la  futaie, et lors de mes séjours dans ce département français, muni de jumelles et d’un appareil photo, malgré plusieurs approches silencieuses difficiles et parfois longues car il s’entend de loin, je n’ai jamais eu la chance de le voir étant même parfois au-dessous de son perchoir. Il faut dire que la végétation luxuriante annule presque tout espoir de l’apercevoir dans les frondaisons.

Parfois, deux ou trois mâles dans un même secteur jouent de concert et se répondent à espaces réguliers. Mais, bien que perçants et atypiques, ces cris ne sont pas dérangeants. Le matin, ils attendent que le soleil inonde la forêt et que l’air se réchauffe avant de lancer les premiers cris, bien après les toucans, qui eux, à peine le jour levé, se régalent bruyamment des baies de wassei ou palmiers açaï

J’ai hâte de mon prochain rendez-vous avec cet oiseau….

A Gérard, Michel, Jean-Bernard … amis perdus !

Régis Boulanger

Régis Boulanger et Nephila clavipes, PK 40 Route de Kaw Guyane Française.