Élever des chenilles : un jeu d’enfant ?

Pourquoi faire de l’élevage ?

Il est parfois tentant de tenter de percer le mystère dans lequel se drapent les chenilles. Trouver leur identité sur photo peut parfois prendre des heures voire même échouer. Il peut-être intéressant de  les élever : l’élevage des chenilles permet de mieux appréhender le cycle de vie du papillon, de prendre conscience du temps nécessaire à son développement, et le moment de l’émergence et du lâcher reste magique, pour les observateurs en culotte courte comme pour les grands. Alors si vous êtes tentés par l’aventure de l’élevage, voici quelques conseils.

Précautions

Tout d’abord, il vaudra mieux éviter de toucher directement les chenilles, notamment certaines chenilles dont les poils peuvent être très irritants, notamment les chenilles de Processionnaires qui peuvent provoquer de dangereuses irritations. Aussi, en l’absence de connaissances particulières, on ne touchera pas les chenilles présentant des poils. Ensuite, il faudra dans la mesure du possible éviter de prélever des chenilles d’espèces protégées ou rares, à condition bien entendu d’avoir déjà une idée de l’identité de la larve. Il s’agira également tenir compte du milieu de vie de l’espèce : si l’on se retrouve avec un imago de Petit Paon de Nuit ou un Sphinx Demi-paon, il vaut mieux prévoir de lui faire faire son vol inaugural à l’endroit où la chenille avait été collectée, ou du moins dans un site qui lui soit favorable, c’est-à-dire où l’espèce ait déjà été observée.

La nourriture au quotidien

Que l’on commence à élever à partir d’œufs trouvés sur une plante, de chenilles ou d’une simple chrysalide ramassée, il faut avoir conscience que prélever dans la nature un animal qui se serait débrouillé tout seul, engage une certaine part de responsabilité et qu’il faut donc être capable de mener à terme cet élevage.

Il est très aléatoire de prélever une chenille lorsqu’on n’est pas certain de sa plante-hôte, car si certaines sont polyphages, d’autres ne consomment qu’une unique plante et à défaut de trouver laquelle, on risque de regarder sa chenille mourir de faim. De même, lorsqu’on nourrit des chenilles, c’est quotidiennement qu’il faut renouveler la provision de feuilles, tout en vérifiant bien qu’on n’introduit aucune autre bête en même temps que les feuilles qu’on glisse dans la boîte. Tous les jours également il conviendra de vider la boîte d’élevage des crottes qu’elle contient (dans la nature les crottes tombent au sol et les chenilles ne les côtoient pas). Il est inutile de mettre de l’eau, et même dangereux, les chenilles peuvent se noyer ; elles trouvent suffisamment d’eau dans les plantes consommées. Il faut également s’assurer que l’on a à portée de main, au jardin ou non loin, la plante nécessaire au nourrissage de ses pensionnaires, pour ne pas être obligé à une fastidieuse quête quotidienne.

Le matériel

Le matériel d’élevage est très peu onéreux et simple : la boîte d’élevage peut être une simple bouteille d’eau minérale coupée aux 2/3 et fermée par un morceau de tulle fixé avec des élastiques. On peut utiliser la même boîte pour des chenilles de la même espèce, mais il vaut mieux utiliser une boîte différente pour chaque espèce.

Enfin, il sera utile de coller des étiquettes sur la boîte d’élevage pour y noter des informations telles que la date et le lieu de prélèvement, la plante-hôte, le nom de l’espèce si l’on en a une petite idée, les dates des mues et de nymphose, et finalement la date d’émergence ; en effet, il n’est pas rare que des mois (parfois un ou deux ans pour certaines espèces) se passent entre la nymphose et l’émergence, aussi ces notes seront précieuses pour s’y retrouver.

Mues et nymphose

Il arrive que l’on observe sa chenille immobile plusieurs jours sur une feuille ou sur la paroi de la boîte : inutile de s’inquiéter, elle se prépare à muer. Elle reprendra ensuite sa consommation de feuilles, avec un appétit accru. À l’inverse, elle peut commencer à courir le marathon au fond de sa boîte, pendant plusieurs jours, sans plus se nourrir. C’est qu’elle cherche fébrilement un endroit favorable où s’abriter avant de se s’immobiliser longuement en chrysalide. En ce cas, il suffira de lui disposer un peu de terre dans le fond de la boîte pour lui donner l’opportunité de s’enterrer, un peu de papier essuie-tout par-dessus dans lequel elle pourra se cacher comme elle le ferait entre des feuilles, et enfin une branchette pour lui permettre d’accrocher sa chrysalide : ainsi elle aura le choix car toutes les chenilles n’ont pas les mêmes besoins dans ce moment délicat de la métamorphose.

L’attente

Une fois la chenille nymphosée, l’éleveur n’aura plus qu’à stocker sa ou ses boîtes dans un local sain, sec, non chauffé, correctement éclairé. Il visitera les boîtes quotidiennement (à la mauvaise saison une visite tous les deux jours peut suffire) car la date d’émergence peut le surprendre s’il n’a pas idée de l’identité de ses pensionnaires : un rapide coup d’œil sur le dessus des boîtes permet de se rendre compte si un papillon a éclos :

En effet la plupart du temps celui-ci s’accrochera en haut de la boîte, sur le tulle :

Les échecs

L’éleveur est parfois déçu dans ses attentes… Mais dans la nature non plus tout ne se passe pas toujours parfaitement. Il peut arriver notamment que les chenilles soient parasitées, ou que l’imago ait les ailes malformées, selon les espèces c’est même assez fréquent. Une date d’émergence trop décalée par rapport à la saison peut également représenter un échec pour la survie du papillon. Les causes d’échec peuvent être multiples, et leur analyse pourra permettre d’améliorer sensiblement le taux de réussite.

Le plus beau moment

Tout s’est bien passé, et le papillon vient d’émerger : inutile de se précipiter pour le lâcher : plusieurs heures lui sont nécessaires pour sécher ses ailes, il aura également à s’alléger en vidant son tube digestif d’un méconium diversement coloré (rouge, orange, beige…). Il peut aussi arriver que l’on se retrouve après l’émergence avec un petit boudin poilu et sans ailes : pas de panique, il s’agit d’une femelle aptère ou brachyptère. En ce cas, après quelques recherches, il suffira de la déposer délicatement sur l’arbre correspondant à son espèce.

L’élevage permet de produire des individus neufs que l’on pourra prendre plaisir à photographier avant de les laisser s’envoler vers leur nouvelle vie. Des photos des différentes étapes de l’élevage seront également intéressantes pour documenter ce qui reste une expérience scientifique. Après l’éclosion, certains éleveurs profitent même parfois d’avoir des femelles vierges (volantes ou aptères) pour attirer des mâles et assister à un accouplement puis une ponte, suivant en cela les traces de Jean-Henri Fabre au XIXème siècle, qui observait ainsi le Grand Paon de Nuit.

Après l’envol, il ne restera plus dans la boîte que la vieille peau de la chenille et sa chrysalide, parfois emballée dans un cocon…

    

…et de jolis souvenirs !